Estimation par le DPB de la marge de manœuvre du gouvernement fédéral dans le Rapport sur la viabilité financière de 2020

Le 27 février 2020, le Bureau du directeur parlementaire du budget (DPB) a publié son rapport annuel sur la viabilité financière pour 2020, qui comportait entre autres la constatation clé suivante :

La politique budgétaire fédérale actuelle est viable à long terme. Le DPB estime que le gouvernement fédéral pourrait augmenter les dépenses ou réduire les impôts et les taxes de manière permanente dans une proportion correspondant à 1,8 % du PIB (41 milliards de dollars courants) tout en maintenant à long terme la dette nette au niveau actuel (2018), qui correspond à 28,5 % du PIB.

— Rapport sur la viabilité financière de 2020

L’estimation, par le DPB, de la marge de manœuvre financière du gouvernement fédéral repose sur des projections sur un horizon de 75 ans, ainsi que sur plusieurs hypothèses clés, par exemple le maintien des structures actuelles de revenus et de programmes (conformément aux Perspectives économiques et financières du novembre de 2019 du DPB et la Mise à jour économique et budgétaire 2019 du gouvernement) et les tendances économiques et démographiques à long terme. De plus, on suppose que le ratio de la dette nette par rapport au PIB retournera à son niveau de 2018 après 75 ans. En outre, le DPB a présenté une estimation de la marge de manœuvre permanente, qui offre la possibilité au gouvernement de mettre en œuvre des mesures de façon immédiate; cette marge augmenterait chaque année, en fonction de la croissance du PIB [1].

Plus important encore, l’estimation de la marge fiscale visait à déterminer si, compte tenu de la charge fiscale actuelle, le gouvernement fédéral avait la latitude nécessaire pour mettre en place de nouvelles mesures permanentes, en tenant compte des conséquences économiques et démographiques du vieillissement de la population. Il a été déterminé que de telles mesures pourraient être instaurées « tout en maintenant la viabilité financière », que nous définissons comme le retour à un ratio de la dette nette par rapport au PIB à son niveau actuel en l’an 2093. Comme nous l’avons noté, le choix du ratio d’endettement actuel final est quelque peu arbitraire, mais ce paramètre est utilisé par les organisations internationales pour évaluer la viabilité financière.

Bien que notre analyse représente un guide utile dans un tel contexte, elle ne permet pas d’orienter les décisions de politiques budgétaires lors d’une crise économique et de santé publique comme celle de la pandémie liée à la COVID-19.

La permanence des mesures constitue une distinction essentielle. La situation actuelle exige la mise en œuvre immédiate de mesures vigoureuses en réponse à des circonstances imprévues et exceptionnelles. Par exemple, les mesures adoptées au plus fort de la Seconde Guerre mondiale ont entraîné des déficits massifs (soit 21 % du PNB par année en moyenne entre 1942 et 1945 [2]), mais elles n’étaient pas de nature permanente. En effet, peu après cette guerre, le gouvernement fédéral a enregistré son plus important excédent budgétaire en pourcentage de l’économie (5 % du PNB en 1947).

Les mesures budgétaires fédérales directes annoncées à ce jour (soit en date du 19 mars 2020) s’élèvent à près de 30 milliards de dollars (1,3 % du PIB), mais il n’est pas prévu de les rendre permanentes. Il en est de même pour les autres mesures de soutien temporaires, comme le report des versements d’impôts et des prêts représentant quelque 55 milliards de dollars.

Ainsi, compte tenu de la nature temporaire de ces mesures, de la dette du gouvernement par rapport au PIB avant la crise de la COVID-19 et de l’accès au marché du crédit à des taux historiquement bas, le montant des mesures budgétaires temporaires que pourrait prendre le gouvernement dépasse largement l’estimation, par le DPB, de la marge fiscale permanente pour une année donnée (41 milliards de dollars).

Lorsque l’économie se redressera et que la situation d’urgence de santé publique s’atténuera, le gouvernement n’aura plus besoin de fournir une aide temporaire et pourra donc y mettre fin. La politique budgétaire retrouvera sa trajectoire « durable », laissant une certaine marge de manœuvre financière pour la mise en œuvre de mesures permanentes dans le futur. Il est toutefois important de noter que ce ne sera peut-être pas le cas si les mesures temporaires sont prolongées.

À court et à moyen terme, le ratio de la dette fédérale par rapport au PIB sera nettement plus élevé que le niveau actuel (qui est plus bas que la moyenne historique et comparativement à plusieurs pays) en raison des mesures de soutien supplémentaires et des effets négatifs sur le PIB. Lorsque les mesures temporaires prendront fin et que l’économie se redressera, le ratio de la dette fédérale par rapport au PIB devrait se stabiliser, puis commencer à diminuer conformément à la politique budgétaire d’avant la crise. En revanche, le ratio de la dette fédérale pourrait continuer à augmenter si certaines mesures sont prolongées ou rendues permanentes [3].


[1] De plus, l’estimation par le DPB de la marge de manœuvre financière fédérale se fondait sur les Statistiques des finances publiques de Statistique Canada, et non sur la base plus familière des Comptes publics utilisée dans les budgets et les mises à jour du gouvernement. L’utilisation de statistiques des finances publiques cohérentes à l’échelle internationale permet d’effectuer une analyse financière comparative en éliminant les différences de définitions et de comptabilité entre les gouvernements et les secteurs gouvernementaux.

[2] Les calculs du DPB sont fondés sur les Statistiques historiques du Canada, accessibles sur le site :  https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-516-x/3000140-fra.htm.

[3] Cela dit, la stabilisation du ratio de la dette fédérale par rapport au PIB à un niveau plus élevé (au lieu du niveau actuel d’avant la crise) n’entraînerait probablement pas de coûts financiers si le taux d’emprunt fédéral demeure inférieur au taux de croissance nominal de l’économie. Pour le stabiliser à un niveau plus élevé, il faudrait un déficit primaire plus important (par rapport à la taille de l’économie). Pour une discussion plus approfondie des coûts financiers et sociaux de la dette publique en cas de taux d’intérêt bas, voir le document de travail 19-4 du Peterson Institute for International Economics, Public Debt and Low Interest Rates, d’Olivier Blanchard. Disponible en anglais seulement à l’adresse suivante :  https://www.piie.com/system/files/documents/wp19-4.pdf. M. Blanchard souligne toutefois que « même sans coûts financiers, la dette publique réduit l’accumulation de capitaux et peut donc avoir des conséquences sur le bien-être. Cependant, les coûts en termes de bien-être peuvent être inférieurs à ce qui est généralement supposé. »